Sécheresse et surfaces végétalisées

Table des matières

Les toits végétalisés, murs végétaux, parkings végétalisés sont-ils menacés par l’accumulation des sécheresses qui s’annonce ? Et si c’était le contraire ?

Et si c’était au contraire les plantes qui nous donnaient des leçons de sobriété ? 

Normalement, en France, on a de quoi étancher sa soif. Grâce à ses impressionnantes réserves d’eau souterraine de 2 000 milliards de m³, à ses pluies généreuses et à un dense réseau hydrométrique, la France est bien pourvue en eau. Chaque année, elle accueille quelque 510 milliards de m³ de précipitations, même si 60% s’évaporent. Le solde, soit 210 milliards de m³, nourrit nos eaux de surface et nos nappes phréatiques.

Cela fait quelques verres d’eau et pas mal d’arrosoirs pour nos jardins. 

Pourtant la sécheresse menace. A l’heure où nous écrivons ces lignes (octobre 2023), la France connaît une nouvelle période inquiétante. La situation des nappes phréatiques continue de se dégrader lentement. Au 1er août 2023, 72% des niveaux des nappes étaient sous les normales mensuelles. En juillet, la vidange se poursuivait sur l’ensemble des nappes et les niveaux étaient généralement en baisse (89%). En septembre 2023, la situation s’est améliorée mais 62% des niveaux restent sous les normales mensuelles.

Côté rendements agricoles : la sécheresse les a fortement menacés en 2023. Après une année 2022 déjà difficile, 2023 a en effet débuté par un épisode intense de sécheresse hivernale. Certaines filières agricoles ont connu des baisses importantes de rendements, jusqu’à 30 %. En particulier, la production cumulée de prairies a été inférieure de 33 % à la moyenne des vingt dernières années.

surface végétalisée pendant la sécheresse
Surfaces végétalisées pendant la sécheresse. Tout est cramé ? Bien au contraire : tout résiste au mieux !

Et ce ne serait là que le début ? Le changement climatique doit, en effet, se manifester par des épisodes de ce type de plus en plus fréquent ?

A propos, la sécheresse, c’est quoi ? 

En France, on considère qu’il y a sécheresse absolue lorsqu’il n’y a pas une goutte de pluie (moins de 0,2 millimètre par jour) pendant 15 jours consécutifs.
Au fil des années, la France a été témoin de plusieurs épisodes de sécheresse mémorables, notamment en 1976, 1989, 1990, 2003, 2005, 2011 et 2015. L’épisode de 1976 reste gravé comme le summum des sécheresses dans l’histoire française, ayant laissé des traces indélébiles sur l’agriculture, la production hydroélectrique et la distribution d’eau potable.

Cependant, juillet 2022 a marqué un tournant. Dès le 17 de ce mois, la sécheresse des sols a atteint un niveau sans précédent, surpassant même l’épisode de 1976. Avec une pluviométrie record à la baisse, n’atteignant que 9,7 mm et des déficits allant jusqu’à 90%, la situation était critique. Les températures élevées ont exacerbé la situation, entraînant une augmentation des incendies de forêt, notamment en Gironde, dans les Landes et le long de la Méditerranée.

Le 4 août 2022, 93 départements sont concernés par des arrêtés de restriction temporaire des usages de l’eau dont le niveau maximal d’alerte est la « crise ». 

Ce qui menace les plantes ? Le stress hydrique.

On en parle de plus en plus.

Le stress hydrique se produit lorsque la demande en eau des plantes dépasse l’approvisionnement.
Lorsqu’elle transpire plus que la quantité d’eau dont elle dispose, elle subit un stress hydrique. C’est particulièrement vrai en cas de sécheresse quel que soit son pays d’origine.

En cas de pénurie, si le manque d’eau se poursuit, les feuilles se déforment, jaunissent et roussissent. Ce sont des signes caractéristiques d’un stress hydrique.

Le stress hydrique chez la tomate, star de nos potagers, par exemple, se reconnaît assez facilement. Les feuilles se roulent pour résister à la sécheresse.

Pour limiter les pertes d’eau, la plante se défend. Elle ferme ses pores et les racines émettent une hormone qui ferme leur racine. La transpiration est ainsi réduite mais l’entrée de CO2 est gênée.

Dans le cas des toits végétalisés et autres infrastructures vertes, cela peut être renforcé par plusieurs facteurs : 

  • Profondeur limitée du substrat : Les toits végétalisés ont généralement une couche de substrat plus mince que les jardins au sol, ce qui limite la quantité d’eau qu’ils peuvent retenir.
  • Exposition accrue : Étant en hauteur ou en plein soleil, ces jardins peuvent être plus exposés au soleil et au vent, augmentant ainsi l’évapotranspiration.
  • Choix des plantes : Le choix des plantes adaptées à ces conditions est crucial. Certaines plantes sont plus tolérantes à la sécheresse que d’autres.

De quoi douter ?

Dès lors, le doute s’installe parfois. Lorsqu’il voit des images de ce type, l’administré d’une commune qui a beaucoup végétalisé peut avoir tendance à se dire : “tout est mort, c’est foutu, tout ça pour ça”

C’est que, là encore, comme dans beaucoup d’autres domaines, la méconnaissance des phénomènes naturels entretient des idées reçues ou des résistances dont il faut se méfier.

Pour lutter contre ces idées reçues, il faut expliquer et expliquer encore.

En matière de sécheresse, tout se passe comme si on s’inquiétait un peu trop à propos de la résistance des plantes quand on manque d’eau. Ou plutôt que l’on s’inquiétait … mal !

Bien sûr, la succession de stress hydriques liés aux sécheresses a un effet à long terme, notamment sur les arbres (réduction de la croissance, diminution de la capacité de photosynthèse, etc.). C’est pour cela que l’on a commencé à modifier la façon dont on gère les arbres.

Mais de là à se dire que remettre de la végétation en ville “a cramé” et que “parce que tout est jaune, tout est foutu” ! Non.

En réalité, les plantes sont beaucoup plus résistantes que nous. En plein désert, après des semaines entières sous un soleil de plomb, elles survivent mieux que nous. Pourtant, on continue de leur prêter nos propres comportements. A croire que parce que nous tenons, parfois, l’arrosoir, elles boivent leur coup, comme nous le ferions nous, ou meurent définitivement.

En réalité, elles savent tenir et se mettre en mode “sobriété” bien mieux que nous. Et non seulement cela ne gêne pas la végétalisation, mais au contraire, cela la rend encore plus utile pour entretenir le cycle de l’eau en ville, même en situation critique. 

Sécheresse : cette plante futuriste possède les qualités pour bien y résister
En tenant compte des stratégies utilisées par les plantes pour résister à la sécheresse, voici une plante d’avenir selon l’intelligence artificielle stablediffusion.

Comment les plantes réagissent-elles en cas de sécheresse ?

Les plantes les plus intéressantes de ce point de vue sont les plantes méditerranéennes.  On estime que la végétation méditerranéenne comprend près de 25 000 espèces, ce qui représente environ 10 % des plantes connues du globe. Or le climat méditerranéen est l’un de ceux qui connaît le plus la sécheresse et les zones désertiques. Avec des périodes de manque d’eau très longues.
A étudier cette végétation-là (et les autres plantes comparables) de près, on s’est rendu compte que les plantes ont développé plusieurs mécanismes pour faire face à la sécheresse :

  1. Fermeture des stomates : Les plantes peuvent limiter les pertes hydriques par transpiration en fermant leurs stomates, les petits orifices à la surface des feuilles par lesquels les échanges gazeux se font.
  2. Cuticule cireuse : Toutes les feuilles présentent un épiderme recouvert d’une cuticule épaisse, c’est une protection mécanique qui rend la feuille imperméable. La circulation de la vapeur d’eau se fera uniquement par les stomates.
  3. Pilosité : Dans les milieux très secs, ou bien encore dans les déserts, les plantes ont développé des poils sur les feuilles qui permettent de maintenir une atmosphère humide de quelques millimètres autour de la feuille.
  4. Couleur argentée : Certaines plantes adoptent une couleur argentée sur la face externe de leurs feuilles pour refléter au maximum la lumière du soleil et éviter ainsi l’accumulation de chaleur.
  5. Organes de stockage : Dans les milieux à fortes variations de précipitations, les plantes doivent stocker un maximum d’eau pendant les périodes pluvieuses pour ne pas en manquer durant les périodes de sécheresse. Elles ont donc développé des organes de stockage (tige, racine…) où les cellules vont se gorger d’eau.
  6. Hormones : L’acide abscissique (ABA), l’hormone clé dans la réponse des plantes au déficit hydrique, déclenche, via la production de peroxyde d’hydrogène (H 2 O 2), des processus de signalisation qui conduisent à la fermeture stomatique.


Mécanismes anti-sécheresse


Ces mécanismes permettent aux plantes de survivre dans des conditions difficiles et de continuer à croître malgré le manque d’eau.

On le voit, les plantes sont très organisées pour résister. Et elles nous donnent des idées.

Que l’on songe à la stratégie de la couleur argentée. N’est-ce pas la même que celle qui consiste à peindre les toits en blanc ? Si ce n’est qu’en mettant sur les toits des plantes argentées, on obtient et la réflexion des rayons du soleil et la contribution des plantes à la réduction de la température par évapotranspiration. Deux effets.

Bien concevoir la végétalisation

Reste à bien concevoir la végétalisation. Bien sûr, souvent, on cherche à privilégier le beau, le geste architectural. Mais il ne faut pas pour autant oublier de penser aux conditions climatiques dans lesquelles ce toit ou cette terrasse vont vivre. 

“Une des premières choses à faire c’est d’arrêter de vouloir des végétaux qui sont déjà consommateurs en eau en soi, explique Laura Carillo, responsable technique chez ECOVEGETAL. Comme beaucoup de plantes qu’on trouve en bord de rivière. On voit encore beaucoup dans les demandes de saules, aulnes ou des plantes de ce type qui vont être trop consommatrices en eau. Mieux vaut favoriser des plantes qui ont l’habitude de pousser dans des sols rocailleux comme des pins ou des magnolias ou des végétaux de ce type qui auront des besoins en eau beaucoup moins importants”.  

Autre point-clé : bien concevoir son système de végétalisation. “On peut aussi envisager de mettre en place des systèmes qui favorisent le stockage d’eau sur un toit. Il  y a plusieurs accessoires comme les nattes absorbantes,  les systèmes de stockage d’eau dans les drains notamment. On peut aussi avoir un substrat plus ou moins épais qui va forcément favoriser la rétention en eau pour justement pouvoir passer des périodes plus ou moins longues de sécheresse.  Enfin, dans les différents paramètres qu’on peut prendre en compte, ce qui est important c’est de ne pas vouloir planter à des périodes qui ne sont pas favorables pour le végétal. On va essayer plutôt de favoriser les plantations dites automnales parce que pendant cette période et en hiver, les pluies vont être un peu plus importantes

et ça va laisser au temps le racinaire de bien se développer.  Ensuite, il aura donc déjà un système qui sera correctement ancré dans le substrat pour pouvoir récupérer le maximum d’eau une fois cette période passée.”


Le rôle du substrat 

Dernier facteur et non le moindre : le substrat.
Rappelons que dans des infrastructures végétalisées (toiture, parking, dalles engazonnées, etc.), on ne fait pas pousser les plantes dans de la terre (trop dense, trop lourde), mais dans un substrat adapté à la situation. 

Un des rôles de ce substrat est aussi “d’éduquer” la plante et de la préparer à son avenir. “On peut cultiver les plantes dans des substrats “contraignants”, ajoute Laura Carillo.  La plante aura été adaptée dès son plus jeune âge à des environnements contraignant et donc en fait une fois qu’elle sera installée sur chantier elle suivra un peu la même dynamique : elle recherchera à développer son racinaire pour qu’il aille chercher la moindre goutte d’eau. Cela permettra d’avoir une adaptation dès le départ pour ensuite éviter des effets contrecoups qu’on peut

avoir quand on a des végétaux qui sont cultivés sous des atmosphères ultra contrôlées avec des substrats très riches voir trop riches et qui derrière n’arrivent pas à suivre dans la durée et qui vous font racheter du végétal pour rien”. 

On le voit, le véritable message des plantes, ce n’est pas “quand il fait chaud, donne-moi plein d’eau” mais bien plutôt “quand il fait chaud, regarde comme je suis sobre, suis mon exemple.” 



Exemple : le stress hydrique chez la tomate

Une thèse de biologie récente, soutenue par Garance Koch à l’université d’Avignon, a  étudié les effets du stress hydrique sur la croissance de la tomate.

Différents scénarios de stress hydriques ont été étudiés, notamment le déficit d’irrigation.  Une des observations clés est que la diminution du rendement en termes de masse des fruits récoltés sous un déficit d’irrigation est principalement due à la réduction de la masse fraîche moyenne du fruit. De plus, la teneur en matière sèche du fruit augmente en réponse au déficit hydrique.

L’étude a également révélé que le nombre de feuilles est relativement stable face aux contraintes hydriques, quelle que soit leur intensité. Cependant, la vitesse d’émission des feuilles a tendance à diminuer lorsque l’humidité du sol est inférieure à une certaine valeur. Par exemple, la vitesse d’émission a été réduite de 15% lorsque le contenu en eau du sol est passé de 1,6 à 0,6 gH2O g-1 de sol sec.

En ce qui concerne la fructification, il a été observé que le déficit hydrique tardif n’affecte pas significativement le nombre de fruits noués. Cependant, la masse fraîche moyenne du fruit mature a diminué de près de 29,1%, tandis que la matière sèche moyenne du fruit mature a augmenté de 37%.

L’une des conclusions intéressantes de cette recherche est que le déficit hydrique ne modifie pas les proportions de biomasse allouée aux différents compartiments aériens de la plante, tels que la tige, la feuille et le fruit. Même si la masse sèche totale de la plante diminue en réponse au déficit hydrique, les proportions de masse sèche attribuées à chaque compartiment restent constantes.

En somme, bien que la tomate présente une certaine résilience face aux contraintes hydriques, des déficits prolongés ou sévères peuvent avoir des conséquences néfastes sur le rendement et la qualité des fruits. Mais globalement, ce fruit d’origine tropicale qu’est la tomate résiste plutôt bien. 

Image de Pierre GEORGEL
Pierre GEORGEL

Passionné de botanique depuis son enfance, a transformé son amour pour les plantes en une carrière florissante. Après des études réussies en horticulture et en paysagisme, il a lancé un projet audacieux à 20 ans : un jardin sur le toit du garage familial. Malgré des débuts difficiles, il co-fonde ECOVEGETAL, qui devient en 15 ans la référence en France pour les jardins sur toits et parkings. Une belle histoire d'innovation et de passion transformées en succès entrepreneurial.

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