La façon dont le public s’est emparé du concept de cour Oasis est fascinante. On parle ici de cours d’école. A priori, ce n’est pas le sujet que traitent tous les jours les journaux télévisés. Et pourtant.
Au départ, cette idée est développée par le CAUE 75. Il est alors interrogé par la ville de Paris sur la rénovation de ses cours d’écoles : comment éviter que s’y accentue l’effet îlot de chaleur en cas de canicule ? Et comment protéger les élèves qui font partie des publics les plus fragiles face à ce type d’événements favorisés désormais par le changement climatique ?
Rappelons que les CAUE sont des organismes de conseil en architecture et urbanisme au service des collectivités.
Le CAUE75 répond alors en substance “il faut transformer les cours d’écoles en oasis” et propose à la suite un accompagnement méthodologique pour le faire : le dispositif cours Oasis.
Pourtant, alors que cette métaphore de l’oasis est surtout censée caractériser la façon dont on va améliorer la gestion des pluies et de la chaleur dans ces projets de rénovation de cours d’école (stockage et restitution par évapotranspiration), la principale particularité du dispositif proposé est surprenant : l’importance accordée à la concertation et à la co-construction. Il faut que chacun puisse exprimer ce dont il a besoin.
Une importance que l’on retrouvera ensuite dans tous les symposiums et toutes les autres approches proposées, notamment celle du CEREMA.
Si l’on met les sous-titres, il faut lire : “attention projet dangereux, risques de conflits”.
Ilot de chaleur ou pédagogie
Comment un sujet a priori technique (rafraîchir un espace et donc y réintroduire de l’évapotranspiration) devient-il aussi rapidement un sujet consistant à réinventer la cour de récréation dans son ensemble (espace et fonctions) ?
Pourquoi ce sujet n’est-il pas resté un débat d’architectes et de bureaux d’études ?
L’oasis rejaillit avec force dans l’inconscient collectif
Bien sûr, il faut sans doute y voir un enjeu prosaïque de réadaptation des locaux scolaires souvent vieillots des grandes villes, et notamment Paris, aux exigences de la pédagogie moderne. Quitte à débitumer tout ça, autant Montessoriser un peu le lieu, si l’on ose écrire.
Il me semble toutefois qu’il n’y pas que cela. En fait-on autant quand il s’agit d’ajouter des aires de jeu dans les écoles ? Non.
Si la cour de récréation Oasis prend tout à coup force de concept, si elle devient un terme mobilisateur dans le monde de l’urbanisme et de l’aménagement, un peu comme le furent les acronymes “HLM” ou “ZAC” en leur temps, c’est à mon sens que s’y est glissé, avec “oasis” un mot capital : un déclencheur émotionnel de premier ordre.
L’oasis, ce lieu de fraîcheur au milieu des déserts, où l’on sait à la fois se protéger de la chaleur et profiter d’une vie plus douce et agréable. L’endroit où la fraîcheur adoucit les moeurs. L’image est extrêmement forte.
L’oasis et le mythe du jardin d’Eden
De nos jours, chacun d’entre nous a vécu des canicules urbaines. Chacun s’est senti en ville comme un aventurier égaré dans le désert, souffrant de chaleur et de soif.
Chacun a alors évoqué en lui-même la recherche de l’oasis.
Il n’en reste pas moins vrai que l’image de l’oasis reste toujours un peu statique. On s’y prélasse, on s’y repose. On y mange quelques dates … Mais bon. Qu’est-ce qu’on y fait d’autre, au fond ?
Comment habiter au sens fort une oasis (habiter au sens fort signifiant s’approprier, injecter de la vie dans le lieu) ?
Et quelle meilleure façon de mettre de la vie, d’habiter, que …. d’y faire jouer des enfants ?
Dès lors, la “cour Oasis” se pare d’enjeux qui vont bien au-delà du simple réaménagement.
Elle devient le lieu mythique (la récréation) où se joue la façon dont on éduque les enfants.
Tantôt le lieu où l’on assassine Jules Ferry et ses méthodes ringardes. Tantôt le lieu où on le ressuscite, lui et ses mythes républicains. Tantôt le lieu où l’on apporte la sécurité totale et absolue à nos chères têtes blondes, tantôt le lieu où on leur offre la découverte de la nature et des périls associés.
Bref. Dans ce jardin d’Eden pour moins de 10 ans, on projette tous les rêves relatifs à l’éducation du moment.
Une fonction oasis mesurable
Bien sûr, je n’ai aucune expertise particulière en matière de pédagogie ou de conception d’aires de jeux. Il ne m’appartient donc pas d’apporter mon grain de sel sur ces rêves divers et variés.
Il est en revanche un combat qui me tient à coeur : celui de rendre les projets possibles et concrets le plus vite possible.
Dit autrement : plus une ville attend que toutes les conditions soient réunies pour adapter tel ou tel lieu au changement climatique, plus la ville va prendre de risques avec la survenue des îlots de chaleur. Le danger, c’est maintenant.
Alors que le paradis sur terre, c’est plus tard.
Voilà pourquoi je suggère que l’on commence, pour imaginer les cours oasis, par poser une sorte de “fonction oasis” de base, un minimum minimorum de l’oasis.
Une fonction au sens de la fonction mathématique, quelque chose de mesurable en mode “avant-après”. Le genre de check-list qui met tout le monde d’accord, pour peu qu’on en explique les tenants et les aboutissants.
Une fonction qui n’insulte pas l’avenir. Qui ne bloque en rien les éventuels compléments de travaux pour plus de végétalisation ou plus d’aires de jeux ou autres espaces spécifiques.
Mais une fonction qui consiste à ne pas oublier les quatres fonctions essentielles d’une oasis urbaine :
- l’abattement des eaux pluviales
- la maîtrise de la croissance des arbres
- le drainage max du sol
- un niveau d’évapotranspiration minimum
L’abattement des eaux pluviales
Les cours d’école ont en général été rendues imperméables par du bitume à l’ancienne. Résultat : la pluie qui tombe sur une école tombe à la fois sur les toits et la cour. En cas de fortes pluies, cela fait beaucoup d’eau. Beaucoup trop, avec les événements extrêmes du changement climatique.
Dès lors, les villes se trouvent confrontées à un dilemme classique : adapter les conduites qui mènent aux réseaux d’évacuation ou obtenir un abattement des volumes rejetés (infiltrer et stocker sur place).
En analysant correctement les choses, on peut obtenir des niveaux d’abattement considérables. Dans l’exemple de la vidéo ci-dessous, nous avons réussi à éviter à la ville un investissement inutile de 180 000 euros dans des travaux de canalisation en permettant d’infiltrer la totalité de l’eau de pluie dans la partie de la cour d’école rendue perméable.
Ce type de projet est à la portée de toutes les communes. Il suffit de raisonner différemment des habitudes anciennes du “tout tuyau” et de recourir à de bon calculs (voir aussi GEPO).
La maîtrise de la croissance des arbres
Que font les racines d’un arbre pour nourrir sa croissance ? Elles puisent de l’eau dans le sol. En général, elles vont la chercher en profondeur. Sauf…
Sauf si celle-ci est stockée plus haut. Or, sous une couche de bitume étanche se produit un phénomène de condensation. Résultat : de l’eau est retenue juste sous la couche de bitume, ce qui donne envie aux racines de l’arbre de remonter vers la surface. Des bosses se forment alors à la surface du bitume, aux pieds des arbres, ce qui provoque des chutes chez les enfants qui se prennent les pieds dedans. Ces genoux écorchés des écoliers agacent particulièrement les enseignants qui en viennent souvent à demander qu’on abatte les arbres.
Supprimez la couche de bitume, laissez l’eau de pluie s’infiltrer dans le sol et les racines des arbres se développeront bien vers le bas et ne rechercheront plus la surface.
Le drainage maximal du sol
On l’aura noté, je n’ai pas mis en avant parmi mes trois critères celui de tout végétaliser.
Tout simplement parce que toutes les cours d’école ne le permettront pas. L’occupation du sol par les enfants lors des récréations fait déjà l’objet de phénomènes sociaux étonnants (ainsi 80% de l’espace serait occupé par 20% des élèves, principalement des garçons jouant au ballon).
Si l’on oblige toutes les cours à disposer de leur mini-forêt ou de leur petit jardin, on risque de provoquer des effets indésirables dans l’appropriation de l’espace.
En revanche, toutes les cours d’école peuvent devenir drainantes. Sur tout ou partie de la surface occupée. Là, encore le fllm sur le projet de Joinville-le-Pont donne un exemple de solution non maximaliste, mais efficace.
Un niveau d’évapotranspiration minimum
L’enjeu principal de l’oasis, ne l’oublions pas, est la lutte contre l’effet îlot de chaleur.
Il convient de gagner quelques degrés en moins dans l’opération. Ceci ne peut se faire sans végétalisation. Souvent les cours à l’ancienne avaient des arbres.
Le premier objectif est déjà d’éviter de les couper (cf point 2). Dans l’exemple de notre vidéo, la cour est restée relativement minérale. Mais on a sauvé les arbres, il n’y a plus d’accidents.
Le second objectif est de renforcer le potentiel de végétalisation. Pour cela, il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que la surface au sol. Le toit d’un appentis, celui d’une classe, des toilettes, etc. sont souvent des surfaces beaucoup plus facilement accessible à la végétalisation que la cour elle-même, en raison du nombre d’élèves.
Commençons donc par la “fonction oasis”
Ainsi, même sans atteindre tout de suite l’idéal éducativo-environnemental absolu, le fait de respecter la “fonction oasis”, de cocher “mieux après qu’avant” sur ces quatre dimensions, permettra de s’engager sur la voie de la cour Oasis. Sans forcément prétendre répondre à tous les fantasmes associés à ce mot.